3 jours, 13 heures et 56 minutes. C’était le temps depuis lequel Elke n’avait pas écrit une note de musique. Rien du tout. Que dalle. Nada, walou, que chi. Aucune mélodie, aucune suite d’accords ou de rythmes. Elle vivait un cauchemar. Dans sa tête se bousculaient les idées déjà mises sur le papier, les idées trop nulles pour être mises sur le papier et encore pire, l’idée qu’elle n’avait plus d’idées. Il fallait absolument qu’elle trouve quelque chose, un remède à sa page blanche. Rien ne la stimulait dans sa caravane, alors elle en sorti dans un cri du rage. Elle tourna en rond dans le cirque, rien qu’elle n’avait pas déjà vu ou qui sortait de l’ordinaire, alors elle alla en ville. Une banalité terrifiante, elle connaissait ces rues par cœur pour les avoir arpentées pendant 6 ans déjà, rien ne semblait vouloir la piquer et lui donner sa dose. Elle était en manque et rien ni personne ne semblait pouvoir lui apporter cette charge de nouveauté dont elle avait tant besoin.


Une minute.. Peut-être que cette partie du cirque ferait l’affaire ? Elke ne voyait que très rarement des gens rentrer ou sortir de cet endroit, mais il avait la réputation de ne pas être un endroit pour les âmes fragiles. Le Freak Show. Ce n’est pas un nom qui fait très envie de prime abord, mais c’était un cas désespéré, alors c’était sa seule option. La musicienne s’empressa de retourner au cirque pour s’enquérir de cette nouvelle expérience. Quand elle pénétra dans cette partie, elle senti que c’était vraiment une atmosphère différente. Fruit de son imagination, ou réel phénomène, elle ne le saura jamais, mais elle recommençait à vibrer. Son regard hagard parcourait chaque recoin du Freak Show, même une roulotte classique semblait différente dans cette atmosphère d’interdit. Puis son regard se porta sur une sorte de grande tente avec une enseigne « Cabinet de curiosités ». Une force d’attraction, presque hypnotique l’attira sous cette tente. C’était l’extase. En plus, l’endroit était vide, elle ne voyait personne, c’était vraiment parfait. Elle sorti un petit carnet sur lequel elle s’empressa de marquer, de manière très peu lisible certes, toutes ses idées.


Une tête réduite ici, de vieux accessoires de tortures là, il y avait ici une véritable pléthore d’objets auxquels Elke pourrait consacrer une pièce entière tant leur aura et leur mystère était épais. On aurait dit une véritable enfant puisque se pensant seule, elle laissait libre court à sa personnalité, ne cachant aucune de ses réactions. Cela faisait très longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi en accord avec elle-même. Et là, un des objets lui tapa dans l’œil ; une collection de vieilles clés, rouillées et sûrement extrêmement lourdes. Ce n’était pas l’objet le plus impressionnant du cabinet, ni le le plus gros ni même le plus chargé d’histoire, mais il touchait la sensibilité d’Elke. Elle s’en approcha alors rapidement après s’être immobilisée quelques courts instants. Elle admira alors de plus près ces artefacts, elle s’extasia devant leurs imperfections, leurs bosses, la patine et la rouille que le temps leur avait laissé comme seul souvenir du passé. Elle pensa tout haut :


« Qu’est-ce qu’elles pouvaient bien ouvrir ? »

Codage par Libella sur Graphiorum

Les clés de l’extas // Elke Knutsson

Le véritable mélomane est l'homme qui, entendant une femme chanter dans sa salle de bain, s'approche du trou de la serrure et y colle... l'oreille.

Tant de poussière, et si peu de temps. Enfin, heureusement pour moi, j'ai dernièrement fait l'acquisition d'un objet très particulier. Il n'a rien d'unique, rien de magique, rien de potentiellement dangereux ou même de mortel, il ne prend pas vie et il n'incite personne au suicide. Il se prend d'une main et se compose ainsi : un manche d'une longueur de dix centimètre accroché à une ensemble de longues plumes d'une quinzaine de centimètres chacune. Oui c'est un plumeau. Un simple plumeau pour les nettoyer tous. Toutes ces boîtes, ces idoles, ces étagères et les objets divers et variés qui peuvent se trouver ici. Et qu'ils aient des pouvoir ou pas, qu'ils puissent provoquer l'apocalypse ou pas, et qu'il changent la face du monde ou pas n'y changera rien, rien ne vaut un bon coup de plumeau pour les rendre un peu plus présentables et surtout bien moins poussiéreux.

Seulement le Freak show ouvre ses portes dans moins d'un quart d'heure et je ne suis absolument pas prêt. J'ai pour habitude de parfois préparer un objet phare à présenter, et faire chauffer de l'eau pour qui voudra du thé, mais aujourd'hui je n'ai eu le temps de rien. Les jours comme ça arrivent, on se lève un peu plus tard, on se douche un peu plus tard, on déjeune un peu plus tard, on prend le thé un peu plus tard et finalement on est totalement en retard. Alors c'est le rush, je passe le plus rapidement possible sur chaque objet, mais je fais attention à n'en oublier aucun. Et finalement, peut être que j'ai fais plus de sport en cinq minutes qu'en un an entier, mais je réussis à finir ce que je devais faire. L'eau est dans la bouilloire et les tasses sont sortie. Finalement je n'ai pas choisis d'objets phare. De toute façon, malgré l'attention que je porte à mes fétiches, aujourd'hui comme maintenant depuis plus d'un mois, il n'y aura pas grand monde. Là sont les deux limites de l'Islande. Il n'y a pas grand monde qui ne soit pas déjà venu à part les touriste, et il fait terriblement froid toute la journée. Journée bien courte d'ailleurs, on vit davantage la nuit, et ce, même pour les travailleurs diurnes.

Du coup, quand la sonnerie retentit de l'ouverture au public, je me permet de m'asseoir simplement sur une des deux chaises qui entourent la table placée devant le comptoir et boire quelques gorgées de thé. Je me prends une pause bien méritée, parce que la préparation de la tente est un travail bien plus intensif que l'accueil du public. La plupart d'ailleurs ne font que regarder et ressortir comme ils sont entrés. Je les surveille simplement du coin de l’œil, histoire de vérifier qu'ils n'ont pas les mains un peu baladeuses et qu'ils ont bien compris le panneau à l'entrée qui indique que :

« Les objets ici sont fragiles, uniques, et potentiellement dangereux pour votre santé mentale, physiques ou celle de vos proches. Prière de ne rien toucher.
N'hésitez pas à me demander des informations si vous voulez en savoir plus sur un objet.
Rien n'est à vendre. Rien n'est à négocier.

Phoenix. »

Heureusement, il n'y a pas foule. Juste une circassienne qui vient d'entrer dans le cabinet. Je n'ai pas encore eu l'occasion de la rencontrer personnellement, j'ai juste appris qu'elle était musicienne dans l'orchestre, et qu'elle avait bien du talent. Je suis moi aussi un mélomane, alors il m'arrive de me perdre du côté de la grande tente pendants les soirées où je me suis levé suffisamment tôt. J'apprécie alors la qualité musical du grand show qui n'est joué que ça de véritable musiciens et non une radio avec un cd plus ou moins fiable. Ma cliente regarde les étagères et semble inspirée. Peut être justement cherche-t-elle son âme artistique. Ce ne serait pas la première à venir pour ça.

« Besoin d'en savoir plus ? »

J'espère ne pas lui avoir fait peur, elle semblait vraiment plongée dans sa contemplation, au point de se parler toute seule.

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La fascination d’Elke lui faisait un effet tunnel, c’est à dire qu’elle était d’un côté, et de l’autre se trouvait l’objet de son intérêt. Entre les deux c’était noir, vide et sans réelle importance, d’où le tunnel. Et puis d’un coup elle entendit une voix. C’est ce qu’elle redoutait le plus dans cette situation : son tunnel venait de s’effondrer sur elle, et ensuite elle laissait s’exprimer son for intérieur lorsqu’elle était dans son tunnel, et elle n’aimait pas qu’on voit cette facette d’elle, surtout quand il s’agissait d’inconnus.
Mais avant tout cela, les réflexes étant ce qu’ils sont, elle poussa un petit cri aigu dans sa surprise en se retournant vers l’origine de la voix. Son visage également devint vermeille, et elle le senti bien, alors elle essaya de le cacher du mieux qu’elle le pouvait, secouant vivement la tête pour cacher sa couleur avec des mèches de cheveux. Elle parlait toute seule en plus, elle avait dû passer pour une vraie timbrée.
Il fallait maintenant répondre à sa question. Avait-elle besoin d’en savoir plus ? Les enjeux de cette question, bien que très banale et anodine en apparence, étaient cruciaux. Il y avait d’un côté l’attrait du mystère de ces clés, tout un imaginaire de fantasmes excitant, mais de l’autre côté il y avait la possibilité que ces petits objets aient une histoire incroyable et bien réelle, malheureusement pondérée par une possible déception. Mais il fallait une réponse, et dans un délais de plus en plus bref.


« Tout dépend. Ces clés là, elles ont une histoire qui vaut le coup d’être entendue ? »


Elle essaya ensuite de trouver la personne à qui appartenait la voix ; ce n’était pas chose facile. La pénombre s’était déjà installée depuis qu’elle était entrée sous la tente. Depuis combien de temps était-elle là ? Peu importe, quoi qu’il en était, elle cherchait du regard cette personne mais en vain. L’alliance de sa confusion et de sa visibilité réduite lui rendait toute détection impossible, alors elle allait attendre que ce soit elle qui vienne tout en serrant instinctivement son petit carnet griffonné contre elle.
Et puis, maintenant qu’elle y pensait, c’était sûrement la personne en charge du cabinet qui venait de lui adresser la parole. Quelle genre de personne pouvait-il, ou elle, être ? Une chose était sûre, il ne fallait pas être une personne banale pour s’occuper de ça, et même disons le assez bizarre. Quelle genre de vie doit-on mener pour en finir à ce point-là ? C’est tout de même une passion assez étrange, cela doit aussi être très long d’accumuler autant de bizarreries et d’objets insolites. Enfin, trêve de divagation, on venait de lui répondre.

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Les clés de l’extas // Elke Knutsson

Le véritable mélomane est l'homme qui, entendant une femme chanter dans sa salle de bain, s'approche du trou de la serrure et y colle... l'oreille.

Bien entendu, elle sursaute. Je m'en doutais, elle ne m'avais même pas remarqué en entrant et elle était si concentrer que même les bruits environnants n'arrivaient plus à ses oreilles. Je souris doucement en entendant le couinement sortir de sa bouche, histoire de la rassurer du mieux que je peux. La pauvre à l'air de ne pas réussir à retrouver la réalité, peut être aurais-je dû attirer son attention d'une autre façon que celle ci. Enfin, elle n'a pas l'air d'avoir le cœur sur le point d'exploser non plus. Alors je la laisse prendre ses aises, son souffle et sa dignité sans en rajouter. De toute manière chaque question a une réponse, et chaque réponse mérite d'être entendue.

Elle regardais donc les clés. Un assortiments de vieilles clés plutôt nombreuses dont la finition n'est plus vraiment visible. Elle sont aussi vieilles que le monde, et ne sont pas dangereuses. Enfin qu'elle le soient ou non les règles sont les mêmes que pour tout le reste, je suis le seul à avoir le droit de manipuler mes objets. Je souris un peu plus en entendant la jeune femme me demander si leur histoire mérite d'être entendu ou bien s'il vaut mieux qu'elle reste dans le flou que son cerveau lui imaginera. Beaucoup de personnes ne me demandent rien ici, préférant s'inventer les histoires qui vont autour de mes reliques. D'ailleurs s'ils s'intéressent à quelque chose généralement ce sont les effets de tout ce bazar.

« Tout dépend de ce que vous souhaitez savoir. On peut partir du principe que chacune de ces clés ouvre une porte unique. Et que chacune de ses portes se trouve aux quatre coins du monde. Je peux simplement m'arrêter là, et écouter ce que vous pensez qu'elles font, ce qui se trouve derrière leurs portes. »

Personnellement je n'ai pas ouvert de porte avec ces clés. Tout d'abord parce qu'on ne sait pas où elles sont exactement et surtout parce que je n'aurais pas d'intérêt à n'en ouvrir qu'une seule. La magie opère seulement lorsqu'elles sont toutes ouvertes. Mais de toute façon, ce ne serait pas une bonne idée de faire ça. D'abord parce qu'il est impossible de savoir ce qui va réellement se passer et ensuite parce que certains écrits attestent de portes inversant le sens du monde, le ramenant à sa naissance. Je me suis toujours demandé si c'était ces portes là, sans jamais avoir réellement l'intention de le découvrir.

« Je suis désolé de vous avoir fait peur toute à l'heure. Il faudrait vraiment que je revois l'éclairage de la tente. Vous voulez du thé ? »

Je me suis rapproché de mon comptoir où la bouilloire siffle doucement et d'où s'échappe la vapeur de l'eau par petits nuages. Plus tard dans la soirée et la nuit, quand il n'y aura plus la musique d'ambiance du Scarlet Lace, j'allumerai le tourne disque qui se trouve posé à côté. Le jazz est toujours un moyen de convaincre tout le monde. En attendant j'ai une histoire à écouter, et peut être à raconter. Et une jeune musicienne de talent venu visiblement chercher quelque chose. Il y a tout ici, mais je me doute qu'elle ne vient pas pour le côté matériel du cabinet.

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« Tout dépend de ce que vous voulez savoir » se répéta Elke quelques fois. Mais elle ne voulait rien savoir. Savoir, ce n’est pas de l’art ; savoir c’est neutre, c’est plat, c’est vide d’émotion. Ce qu’elle voulait, en revanche, c’est ressentir. Peu importe quoi, de la peine, de la joie, de la colère ou de la tristesse, peu importait tant qu’elle avait ce sentiment d’être envahie par quelque chose de transcendant. C’est ce qui l’intéressait en tant qu’artiste, c’était transmettre le plus fidèlement possible et à sa manière ce qu’elle avait ressenti aux personnes qui l’écoutaient . C’était sa manière à elle d’être généreuse avec le monde, la jeune norvégienne se voyait comme une messagère des émotions, et sans émotions à partager elle n’était rien.
Des clés qui ouvrent des portes un peu partout dans le monde, c’était un peu vague, et surtout assez inintéressant. Elle se doutait bien qu’elles ouvraient des portes, mais elle ne voulait plus penser à ce qu’il y avait derrière ces portes. Elle sentait arriver une sorte d’explication pseudo-ésotérique sur des portes magiques capables de relier des dimensions parallèles ou autre chose dans le genre. Elke n’était pas friande d’ésotérisme ; pour elle, si un objet est magique, c’est qu’il n’était pas assez bien pour appartenir au monde réel. En soi, cela restait plutôt cohérent avec son caractère et sa manière d’être au quotidien. Et en plus, elle n’avait pas plus envie que ça de parler de son imagination, toujours un peu vexée de s’être laissée surprendre de la sorte. Sa réponse fut donc assez logique :


« Non merci, ça ira pour l'histoire. »


On pourra tout de même noter une politesse assez inhabituelle pour être relevée. Bien qu’elle voulait être rebelle et se ficher de tout ce qui l’entourait, elle avait été bien élevée et son éducation refaisait surface de temps à autres, essentiellement quand elle était confuse.




Dans tous les cas, elle voyait enfin son interlocuteur, sortant de la pénombre comme un véritable seigneur sith. Par contre, pas de sabre laser - quoi qu’il devait bien y avoir quelque chose de la sorte parmi tous ce bazar organisé - ni de masque swagué, seulement un vieux bonhomme maigrichon qu’il fallait dévisager attentivement pour déterminer son genre. Enfin, ne pas s’arrêter aux apparences, surtout quand on se voit proposer du thé.


« L’éclairage est bien, il fait partie de l’ambiance, il faudrait simplement songer à signaler sa présence un peu plus tôt. Par contre je veux bien du thé. »


Ce type devait tout de même avoir un tas de choses à raconter, et Elke, emplie d’idées fraîches avait désormais du temps à perdre, alors pourquoi ne pas rester un peu ? Surtout qu’il ne faisait pas mauvais à l’intérieur, et elle n’avait guère envie de retourner dehors. Elle le suivi alors près du comptoir en ne manquant pas de jeter quelques coups d’œils aux items qu’elle n’avait pas encore vu. Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser à son visage qui lui semblait tout de même familier, et puis elle se souvint où elle l’avait vu. Elle lui lâcha donc quelques mots de plus en prenant place sur une chaise.


« Vous ne traînez pas du côté du chapiteau le soir ? Il me semble vous avoir déjà vu en sortant après avoir fini de jouer. »


Bien sûr, elle ne lui dit pas qu’elle l’avais pris pour une sorte de pervers quelconque à ce moment là. Elke le regarda alors avec un regard bien.. zehef.

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Les clés de l’extas // Elke Knutsson

Le véritable mélomane est l'homme qui, entendant une femme chanter dans sa salle de bain, s'approche du trou de la serrure et y colle... l'oreille.

Pas d'histoires pour ce soir donc. J'entends dans la réponse de mon interlocutrice qu'elle n'est pas bien à l'aise, j'imagine qu'elle se remet de sa frayeur et de sa montée soudaine de honte due à son cri de surprise. Pour ma part, j'ai déjà oublié tout ça. Je ne suis pas du genre à rester longtemps sur ce qui dérange les gens, je préfère me concentrer sur ce qui leur fait plaisir. Surtout quand il s'agit de la famille du cirque. Les nouveaux, les anciens, ceux que je ne croisent jamais ou ceux avec qui je travailles. Les plus grandes étoiles, ou les nettoyeurs de latrines. Tout le monde vaut autant et une vie, qu'importe qu'elle soit grandiose ou désuète, n'a pas à être mise sur une pyramides.

En effet, elle est encore un peu refroidie par le coup de pression que je lui ai infligé sans le vouloir. Je suis terriblement désolé d'ailleurs que ça la mettre mal à ce point là. Elle est rendue un peu désagréable, mais je vais simplement mettre cela sur le compte de l'irritation, et je ne vais pas le lui faire sentir. De toute façon ce n'est pas comme si ça allait entacher mon bonheur et ma joie, et encore moins mon professionnalisme et mon amour du cirque. Et puis un thé ne lui fera pas de mal, ça réchauffe les cœurs et les relations. Sauf pour les quelques hérétiques qui n'aiment pas ça. Quoiqu'en fait je m'en fiche bien, si les gens n'ont pas de goût c'est là leur problème, pas le mien.

« Il y a un panneau à l'entrée, la tente n'est pas accessible tant que je ne m'y trouve pas par ailleurs. Ne me faites pas une réflexion lorsque le tord n'est pas celui de la personne à qui vous la faites, cela pourrait être mal prit.  »

L'eau coule doucement dans la tasse alors que le parfum du thé Russe qui coule dedans m'arrache un sourire. La couleur, la chaleur, l'odeur, tout est appréciable dans ces infusions. Je ne pourrais plus m'en passer maintenant et du plus loin que je me souvienne, j'en ai toujours bu. Bien plus sain que la nicotine que je m'envoie dans les poumons en trop grande quantité. Malgré tout je suis né dans une décennie où l'on pensais encore qu'il n'était pas si néfaste de fumer la cigarette. Maintenant j'en suis totalement prisonnier et je ne doute pas que ça mènera à ma mort.

Alors que mon invitée s'installe sur sa chaise, je lui tend sa tasse, la posant juste devant elle, espérant qu'elle fera attention à ne pas se brûler les lèvres ou la langue. Mais il faudrait qu'elle soit définitivement aveugle puisque le thé fume comme un volcan en éveil. Mais elle ne semble pas trop pressé, et préfère apparemment faire la conversation. Tant mieux, j'aime plus que tout parler avec les gens. Surtout quand ces derniers sont mes frères, mes sœurs et ceux que je considère comme ma famille. D'ailleurs, il semblerait qu'elle m'ait remarqué lors des quelques fois où je me suis aventuré près de la grande tente pendant les grand show.

« Il m'arrive d'aller voir par là bas oui. Ça fait longtemps que je suis ici, si je ne me changeais pas parfois un peu les idées il serait possible que je finisse par me lasser. Et puis le spectacle du cirque vaut le coup d'être vu. Je serais idiot de ne pas en profiter. »

Je suis pourtant pas du style à attirer trop l'attention. Surtout quand cette dernière doit être porté sur une partition et un chef d'orchestre. Il semblerait que la contrebassiste du cirque soit facilement distraite. Enfin là encore, de ce que j'ai pu entendre, ça n'empêche pas la qualité de sa prestation, même si l'entendre individuellement est quasiment impossible quand elle joue avec le reste de la troupe.

« Elke c'est ça ? Vous voulez des gâteaux avec le thé ? »

Je sors une boîte en métal décorée et colorée et l'ouvre. J'ai juste néanmoins le temps de boire une gorgée dans ma tasse qu'un homme entre. Il n'est pas du cirque. Un client du Freak Show donc. Mais loin de moi l'idée de mettre fin à ma conversation avec la jeune musicienne.

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Phoenix ne connaissait pas Elke le moins du monde, c’était flagrant. Une Elke qui ne fait pas de réflexion, et qui en plus se soucie de comment la personne avec qui elle parle pourrait prendre ces réflexions ? Il, ou elle, n’est pas né celui qui arrivera à la faire changer à ce point ! Elle était plutôt du genre à faire des remarques à n’importe qui, surtout aux inconnus, et était réputée pour avoir un talent certain dans l’art de pousser à bout les personnes sur lesquelles elle décide de s’acharner.


Quoi qu’il en était, la norvégienne fronça un peu les sourcils puis passa à autre chose, ignorant royalement la remarque du tenancier. Son humeur d’enquiquineuse professionnelle avait décidé de ne pas émerger aujourd’hui, pour le grand bien de toutes les personnes présentes ; il faut dire que l’odeur du thé que préparait Phoenix commençait à arriver à ses narines, et elle était loin d’être désagréable. Bien qu’elle n’était ni une grande amatrice, ni une grande consommatrice d’infusions, elle appréciait néanmoins les douces effluves qui se dégageaient des tasses, et sa rigueur à ennuyer autrui pourtant si chère à son cœur semblait s’estomper.


Elke saisi précautionneusement la tasse qui lui était tendue une fois qu’elle fût assise confortablement. Elle pris quelques instants pour en apprécier tous les aspects, sa couleur et à nouveau son odeur étonnement envoûtante avant de souffler délicatement dessus pour le faire refroidir. Elle s’amusait à regarder les vaguelettes qui se formaient à la surface de sa boisson quand quelques mots interrompirent sa récréation. La musicienne croisa les jambes en portant son thé qu’elle espérait suffisamment refroidis à ses lèvre pour en siroter une petite gorgée.


« Oui c’est ça, mais non merci, sinon cette boite ne restera pas pleine très longtemps. »


Elle laissa de côté son surprenant regain de manières pour s’étonner que cet inconnu connût son prénom. Après un bref haussement de sourcil, elle passa à autre chose, se disant prétentieusement que son talent devait faire écho un peu partout dans le cirque, se félicitant intérieurement au passage. Elle haussa ensuite les épaules pour acquiescer à sa réponse précédente. Elle qui n’était là depuis quelques petits mois seulement ne pouvait pas encore comprendre ce qu’il racontait, mais elle releva cependant un léger étonnement dans le ton de sa voix, et elle était persuadée de savoir d’où cela venait. Combien de fois on avait pu lui demander comment elle faisait pour relever des détails dans le public alors qu’elle était sensée être concentrée sur sa partition. La réponse était simple.


« Vous savez, quand on joue de la contrebasse, on a une position privilégiée pour regarder tout ce qui se passe du côté de la tente, et puis quand on a écrit soi-même la musique que l’on est en train de jouer, il est assez aisé de se concentrer sur autre chose. »


Or, à peine sa phrase terminée que du coin de l’œil, Elke vit une silhouette se détacher de la pénombre. Un homme à en juger par sa carrure, et Phoenix aussi l’avait remarqué, à en juger par son regard qui s’était porté au dessus de l’épaule de son hôte. C’était dommage, elle allait aborder à quel point elle trouvait le chef d’orchestre médiocre. Combien de fois s’était-elle disputée avec lui à propos de l’interprétation de ses pièces durant les répétitions ? Assez pour s’attirer les foudres de la moitié de l’orchestre, mais c’est un autre sujet. Et puis, ce n’est pas comme si elle en avait grand-chose à faire, bien au contraire, en plus, un musicien vexé aura tendance à plus travailler, alors c’était en somme très positif.


Dans tous les cas, elle repris une gorgée de thé en ayant préalablement soufflé dessus, attendant de voir ce que son interlocuteur allait faire.

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Les clés de l’extas // Elke Knutsson

Le véritable mélomane est l'homme qui, entendant une femme chanter dans sa salle de bain, s'approche du trou de la serrure et y colle... l'oreille.

La jeune femme en face de moi a pour sûr un charme bien certain, mais franchement, quel caractère rebutant. Enfin je ne suis pas sensé juger qui que ce soit du moment que je ne suis pas personnellement visé par la gratuité de sa froideur. Et jusque là, elle est restée tout à fait correcte. Elle a bien pris le temps de s'asseoir pour prendre sa tasse, et j'apprécie qu'elle respecte un peu l'endroit où elle se trouve et la personne avec laquelle elle discute. Je ne retient pas mon rire lorsqu'elle assume totalement l'idée qu'elle ne s'arrêterait pas avant d'avoir fini ma boîte de gâteau si elle commençait à en manger ne serait-ce qu'un. Je connais bien, j'ai moi même mes moments de gourmandise où je peux descendre une étage entier de petits gâteaux secs. Tout le monde est pareil, et malheureusement, on est tous faibles face aux petits plaisirs de la vie.

Son thé est fumant, je lui proposerais bien de l'eau fraîche pour qu'elle puisse le boire plus rapidement, mais j'avoue ne pas y avoir pensé, ayant moi-même une langue de chat comme on dit. Je ne suis plus affecté depuis le temps par les brûlures due à la chaleur de la boisson. Je souffle dessus deux ou trois fois, j'attends quelques minutes et c'est amplement suffisant. Puis, fière d'elle, et avec un sûreté dans le ton elle m'apprend qu'elle n'a pas réellement besoin de suivre à la ligne sa partition, puisqu'elle en est l'auteure et qu'elle connaît de toute manière par cœur son instrument donc elle peut se permettre de regarder ce qui se passe autour. J'espère que ce genre de liberté ne se retournera pas contre elle. Cependant, si j'admire ce genre de personne qui savent ce qu'elles sont et ce qu'elles valent, je suis souvent moins attiré par leur confiance en elles trop prononcée.

Disons simplement que quelqu'un qui se suffit à lui même n'écoute pas forcément les autre et peut avoir tendance à se placer sur un piédestal plus haut que la « foule ». Je suis de ceux qui considère que tout homme et toute femme se vaut et que personne ne vaut plus ou moins que personne puisqu'à l'échelle du monde, de la nature, et de l'univers nous ne valons rien tous autant que nous sommes. Demandez au tigre qui décide de vous prendre en chasse si votre vie de président et plus importante que celle du voisin SDF, pas sûr qu'il prendra le temps de prendre en compte votre question. Les grands de ce monde ne m'intéressent. Si un roi entrait dans ma tente, en m'ordonnant de lui offrir quelque chose parce qu'il est au dessus des autres, je crois qu'il aurait simplement droit à un thé et des petits gâteaux. Et qu'il s'en contenterait comme n'importe qui d'autre.

« Ne vous gênez pas, j'ai d'autres boîtes, et ils sont très bons. Je dois avouer que si c'est votre musique que l'on entend lors du grand show, je ne peux que saluer le génie. »

Le client qui est entré regarde les objets, lit les descriptions silencieusement. Je le détaille un peu plus puisqu'il s'est rapproché discrètement. Un Islandais je pense, rien d'étonnant. Je ne l'ai jamais vu ici, sûrement un curieux de plus qui a été tenté par le Freak Show. Mais qui commence par le plus « soft » si je peux dire. Le cabinet de curiosité n'est qu'un musée, on croit ou pas à ce que l'on voit, mais si on y crois ce qui semble au premier abord très simple devient absolument incroyable. Je n'ai rien de très controversé ici, disons que je ne suis pas dans l'illégalité de détenir un fœtus humain éveillé, mais il est des choses qui sont peut être pires même sans forcément en avoir l'air. En tout cas il ne semble pas avoir besoin de mes services, et ça m'arrange.

« Du coup, Miss Elke, pourquoi êtes vous venue ici, à part me reprocher d'être trop discret dans ma propre maison ? »

Je souris, ce n'est pas comme si je voulais la critiquer, elle a l'air fier et toujours hautain, je pourrais m'assurer de son autodérision, et savoir si elle a une limite faible à ce genre de commentaire où si au contraire je peux me permettre d'être familier avec elle sans risquer de me recevoir une baffe dans la figure. Pour ma part je ne changerais pas ma manière de faire pour lui plaire plus. Et si elle trouve quelque chose à redire à cela je lui indiquerais poliment la sortie. Elle est entrée d'elle même, cherchant forcément quelque chose, je veux bien l'aider, seulement si elle ne considère pas que je le lui dois. Je ne pense pas lui devoir quoi que ce soit. D'ailleurs si je dois quelque chose à quelqu'un il n'est malheureusement plus de ce monde pour que je lui rende. Mais cette histoire ne regarde que moi.

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