“Et surtout, n’oubliez pas, pour le nettoyage de votre tatouage, il faut utiliser un savon sans Ph. Et ne frottez pas pour le sécher, un léger tapotage avec une serviette suffit. Enfin ne surtout pas oublier de l’hydrater avec une crème appropriée que vous pourrez trouver en pharmacie. D’accord ? Tenez, prenez ça, tout est noté dessus. Si jamais vous avez un soucis revenez me voir. Merci à vous, bonne fin d’après-midi, Monsieur” dis-je à mon dernier client de la journée en soulevant le rideau de ma tente. Enfin terminée. Je soupire de soulagement. Cet après-midi a été plutôt chargé. Deux personnes sur un tatouage de petite taille. Environ une heure de travail chacun. Et fin le troisième. Il m’a fallu presque trois heures de travail pour lui tatouer un poème. Après quelques minutes de discussion avec ledit client,  je lui ai fortement déconseillé son choix. Pas pour des raisons esthétiques mais plutôt pour une raison d’ordre physique. En effet, j’en suis rapidement arrivé à la conclusion que le jeune homme, âgée d’une petite vingtaine d’année, était quelqu’un qui supportait mal la douleur. Mais devant l’insistance de mon client, j’ai accepté sachant très bien que la séance serait très compliqué aussi bien pour lui, que pour moi. Et elle le fut.

Mais finalement, après trois heures de travail - et trois heures de douleurs pour le jeune homme- j’ai enfin terminé. Je m’emploie à nettoyer le dermographe avec lequel j’ai tatoué le jeune homme ainsi que désinfecter le fauteuil et ranger les encres. L’ensemble du nettoyage et du rangement me prend une bonne heure. Il est presque dix-neuf heures lorsque je regagne les tentes où nous dormions afin de me préparer pour le petite sortie que j’avais prévu. En effet, il y a quelques jours, j’ai rencontrés de jeunes gens de mon âge avec qui j’ai très vite sympathisé et qui m’ont proposé une petit soirée. Je ne l’ai pas refusé, bien au contraire, ça fait toujours du bien de sortir un peu de la routine.

Vingt heure, je quitte le Noah Ark Circus pour rejoindre mes compagnons de soirée dans le centre ville. Le programme est simple : restaurant et boîte. Il est presque minuit lorsque nous arrivons dans une des boîtes de nuit de Reykjavik. La musique bat son pleins, les corps dansent, se collent. Certains sont assis, d’autres sont au bar. Nous ne tardons d’ailleurs pas à le rejoindre nous aussi en jouant des coudes pour nous faire une place. Après une demie heure et deux verres, nous nous mettons à danser avant que je ne le remarque accoudé au bar, un verre à moitié pleins devant lui.

Cet homme. Une bonne taille, une chevelure brune et une barbe de plusieurs jours. Mais ce qui me saute aux yeux, c’est son sourire. Son magnifique sourire. Il est vraiment charmant. Bien sûr, ce n’est pas Alistair mais pour un court instant, il peut tout à fait correspondre à ce que je cherche. Je ne suis pas ce genre de fille qui couche avec un homme différent -ou une femme- chaque soir. Bien au contraire. Mais il est évident que j’ai, comme tout le monde, des envies et que je ne suis pas contre une petite folie de temps en temps afin de passer un bon moment.  Ainsi, c’est souriante que je me dirige vers lui, dansant un peu pour me frayer un chemin plus facilement entre les gens qui, pour certains, sont déjà bien alcoolisés malgré l’heure peu tardive. J’attends quelques secondes, puis finalement, je me jette à l’eau, m’approchant un peu plus encore de lui pour couvrir le bruit de la musique.

“Bonsoir, je vous ai vu dans un coin et je me suis dis qu’on pourrait discuter un peu tout les deux. Moi c’est Hope, et vous, comment vous appelez vous ?” lu dis-je alors que son regard que je pense chocolat se pose sur moi et que son sourire s’efface laissant alors place à un visage plus fermé que celui que j’avais pu voir quelques secondes auparavant. Mais je ne m’en formalise pas et tente de lancer la conversation. “Vous êtes d’ici ? Ou en vacances peut-être ?”. Toujours souriante, j’attends que mon vis à vis daigne me répondre mais il ne semble pas en avoir l’envie.

Je reste quelques secondes sans voix devant la tirade du brun. Quel grossier personnage ! Étais-je censé savoir que ce monsieur au combien incorrect était homosexuel ? Ce n’est pas écrit sur son visage après tout et il ne se balade pas avec une pancarte où est inscrit “Navré mes demoiselles mais je préfère le service trois pièces de ces messieurs”. Alors si chez certains, ça se remarque au premier coup d’oeil dans leur façon s’habiller, de parler ou tout simplement de se comporter, chez d’autre, ce n’est absolument pas le cas, bien au contraire. Comme par exemple, lui.  Je détaille une fois encore l’homme se trouvant devant moi mais ma vision de lui vient radicalement de changer. Exit le beau brun, sexy et un poil mystérieux et bonsoir le détestable connard sans tact.

Non mais je rêve.

“Etes vous entrain d’insinuer que je suis une de ses filles qui ne mérite de se taper que des abrutis alcoolisés cherchant à baiser tout ce qui bouge ?” demandai-je outrée par cet affront “C’est plutôt ironique que vous parliez de tact en critiquant le miens, alors vous n’en n’avez aucun ! Laissez moi vous donner un conseil. La prochaine fois que vous souhaitez envoyer quelqu’un sur les roses, essayez d’y mettre les formes sans insinuer que cette même personne n’attire que des connards, je peux vous assurer que ça passera mieux parce que, si je me souviens bien de mes propos, je n’ai pas été grossière ou déplacé envers vous à ce que je sache. Au contraire, j’ai été totalement courtoise. Je venais simplement discuter sans lourdeur. Et échanger un dialogue tout ce qui a de plus banal n’implique pas que j’aurais forcément tenté de vous mettre dans mon lit. Je sais me tenir et je n’insiste jamais” dis-je, fusillant alors l’individu du regard.

A peine ai-je fini ma tirade qu’un des “abrutis” nommé un peu plus tôt  par mon interlocuteur se dirige vers nous, un sourire de prédateur aux lèvres. Je soupire avant de lâcher un “putain, je suis maudite ce soir”. Rapidement l’homme nous rejoint. Il est roux avec une barbe de quelques jours légèrement entretenus. Ces yeux verts vont du brun à moi, tout en me détaillant, puis de moi à l’homme avant de finalement se reposer sur ma personne me détaillant comme si je n’étais qu’un simple morceau de viandes. J’ai horreur de ça et je ne peux pas empêcher un frisson de dégoût me traverser. Cependant je ne dis rien. Quelques secondes s’écoule sans que ni eux, ni moi ne parlons avant que le nouveau me demande si “ce monsieur m’importune”. Je lui souris en lui assurant que tout va bien et que nous faisions que discuter en toute légèreté mais que je le remercie de l’attention. D’ailleurs, en disant cela, je jette un coup d’oeil au brun pour voir s’il comptait répliquer quoique ce soit mais j’en ai pas l’impression. Et finalement, je  profite du fait que le barman passe près de nous pour commander un mojito à la fraise qui arrivent quelques minutes plus tard. L’ambiance est tendue. Je fini par, à mon tour, faire comprendre au troisième qu’il n’y a rien ici qui nécessite sa présence et il finit à partir “la queue entre les jambes” comme le dit si bien l’expression.

Quand au brun, il est toujours là et il semble encore très en colère d’avoir été dérangé dans sa chasse au petit jeune. Mais peu importe j’en ai pas fini avec lui. “Alors ? Vous compter vous excusez ? Ou vous allez simplement vous barrez pour tenter d’aller récupérer ce gamin blondinet que vous matez ouvertement depuis tout à l’heure malgré le fait qu’il est clairement dix longues années de moins que vous ?”. Je soupire. Certes, la différence d’âge ne me choque pas le moins du monde, après tout Alistair et moi avions bien cinq ans qui nous séparaient quand nous nous sommes mis ensemble, mais j’ai eu comme une envie de taquiner Monsieur-vous-êtes-charmante-et-sûrement-le-genre-de-fille-que-beaucoup-de-mecs-apprécient-mais-ce-n’est-pas-mon-cas. Et vu la tête qu’il tire, ça a l’air de bien marcher. Finalement, ma fin de soirée ne sera pas si nulle que cela.

Et en plus c’est un cynique. Connard et cynique. Charmante combinaison que voici. Je le regarde s’incliner légèrement. Connard, connard, connard. L’écoutant bavasser tout en buvant mon verre, je manque de m’étouffer devant son hypocrisie. “Je m’excuse Milady”.  Insupportable. “ je n’osais en aucun cas sous entendre que nous ne méritiez pas mieux que ces abrutis. Ce n’est en aucun cas ma pensée”.  Il va me prendre longtemps pour une personne dénuée de bon sens ?

“C’est bon, avez vous  fini de vous moquer de moi ou avez vous encore deux ou trois paroles désagréables en réserve ?" demandai-je, sourcil froncés. Qu’est-ce qu’il est … agaçant ce type. Sait-il faire autre chose sans pour autant utiliser le cynisme ? Je l’espère sinon, les gens partageant sa vie, que sa soient conquêtes, amis ou famille, ont beaucoup de courage pour le supporter à longueur de journée. Je n’imagine même pas ce que ça doit être lors de ses journées de travail. Je suis bien heureuse de ne pas faire partie de ses collègues. Il est évident qu’on finirait par se taper dessus tous les deux.

Mais attend, ma technique de drague dénuée de subtilité et d’originalité. Je ne peux m’empêcher de rire face à “cette répartie”. Il faut dire que la sienne est tout à fait originale, bien évidemment.

“Excusez moi mais, je ne cherche pas à faire dans l’originalité. La subtilité, peut-être, bien que je doute qu’avec un homme tel que vous, ça aurait marché. Mais revenons à l’originalité. Si la mienne n’était pas originale, la vôtre non plus en revanche. Fixer quelqu’un en lui faisant les yeux doux, c’est du vu et revu. Du réchauffé. Rien d'original, ni de subtile au final”.

Je le regarde terminer son verre, cul sec  le posant ensuite sur le bar alors que, pour ma part, je le sirote. Pas que cela soit le meilleur Mojito que j’ai bu, mais il n’en ai pas mauvais pour autant et de toute façon, je n’ai pas l’intention de me saoûler. Si tel avait été le cas en venant ici, j’aurais opté pour un de ses alcool islandais qui vous renverse à la première gorgée.

Puis vient dans la “discussion”, le blondinet. Il est parti, sûrement avec un de ces abrutis alcoolisé dont nous parlions quelques minutes plus tôt.

“Quel dommage...Cependant, vu que vous le prenez simplement pour un morceau de viande, ce n’est peut-être pas plus mal” me contentai-je de lui dire en haussant légèrement les épaules. Après tout, au vu de son comportement peu gentleman, il est hors de question que je le plaigne. Ça serait du grand n’importe quoi.

“Puisque j’ai trop de temps libre maintenant je vais répondre à vos questions”. Je rêve là, alors monsieur ronchon veut faire la conversation maintenant ? Ainsi, j’apprends qu’il a été nommé Luka - joli prénom qui plus est et qui lui va à ravir- mais aussi qu’il est ici, en Islande pour le travail, tout comme moi. Nous avons un point commun, qui l’aurait cru. Enfin, deux points points commun si j’en juge parce qu’il me dit. Lui comme moi avons eu une journée particulièrement compliqué. Sûrement pas pour la même raison, mais soit, une journée pénible, reste une journée épuisante. Peu importe les raisons de celle-ci. Ce qui vient actuellement m’agacer, c’est qui a piqué ma curiosité.

Et merde. Ne pas lui montrer plus d’intérêt.

“Alors comme ça, puisque vous n’avez plus de petit cul sympa à vous mettre sous la dent, vous tenez à faire la conversation à quelqu’un que vous ne pouvez clairement pas encadrer ? C’est plutôt hypocrite ça, vous ne trouvez pas ? Vous êtes un personnage particulièrement étrange Luka. Mais pourquoi ne pas vous répondre pour vous faire perdre encore plus de temps. Je suis également ici pour le travail et me détendre d’une journée de travail particulièrement pénible avec quelques connaissances que j’ai rencontré il y a quelques jours. Il semblerait alors que finalement, nous ayons un ou deux points commun” dis-je un poil ironique, un poil agacé.

Vraiment très étrange comme personnage.

“Maintenant, si vous voulez bien m’excuser…”