Leave all your love and your longing behind
Histoire
You can't carry it with you if you want to survive
Je me réveille en sursaut le coeur battant à tout rompre, une fine pellicule de sueur recouvre mon front. Je pose une main sur ma poitrine essayant de calmer les battements furieux qui l'agitent. Je passe une main sur mon visage, essayant de chasser les gouttes de sueur qui coulent dans mes yeux ainsi que les derniers vestiges de mon rêve. Je devrais y être habitué pourtant. C'est toujours le même. Il revient sans cesse et ne me laisse pas un instant de répit. Au bout de huit ans je devrais y être habitué pourtant. Mais non. Je me réveille à chaque fois tremblant de tous mes membres, hanté par les vestiges de mon passé.
Je me lève finalement, le sommeil m'a définitivement quitté de toute façon. Cela ne sert à rien que je m'acharne à tenter de me rendormir. Je n'y parviendrais pas tant que je n'aurais réussi à chasser ce rêve de mon esprit. Je m'arrête un instant dans la petite salle de bain de ma caravane. J'asperge mon visage, nettoyant la sueur qui s'y trouvait encore. Je relève ensuite les yeux et contemple mon visage. Mes traits sont tirés, mon teint pâle. J'ai une tête de déterré. Cela se voit que je passe une nuit de merde. Je soupire et quitte ma salle de bain. Ce n'est pas comme si je comptais encore plaire à quelqu'un de toute façon. Autrefois oui. Il y avait une époque de ma vie où mon apparence était l'une des choses qui comptait le plus. Je m'en servais, en abusais et séduisais toutes les filles qui passaient à ma portée. Avant... ce type me semble si loin de celui que je suis maintenant. Je n'ai même plus l'impression d'avoir été ainsi. C'est comme si tout cela avait été un autre homme, dans une autre vie, une histoire que l'on m'aurait raconté mais qui n'est pas la mienne.
Je pars finalement m'installer sur mon canapé. La bouteille de whisky que j'ai acheté il y a quelques temps me fait de l'oeil. Je l'ai acheté dans un moment de faiblesse, lors d'une journée pourrie, parce qu'il aurait été si facile de me laisser aller à noyer mes souvenirs là dedans. Mais je n'ai pas craqué cette fois là. Et là revoilà qui me tente, qui me supplie de craquer et de la boire...
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Rien ne me prédestinait à vivre dans un cirque. Ca n'a jamais été un rêve d'enfant. Je ne me souviens même pas y avoir mis un jour les pieds. Cela n'a jamais été une évidence, et pourtant la vie a fini par me pousser là.
Je suis né à New York il y a un peu plus de vingt sept ans. Gamin sans histoire, d'une famille sans histoire, d'un père garagiste et d'une mère secrétaire. Rien de bien original, rien qui laisserait suspecter que j'aurais fait cela de ma vie.
Puis il y a eu le premier choc de ma vie, venant troubler ce parfait petit bonheur. Ma mère est morte. Une cochonnerie de maladie de merde qui l'a fait souffrir pendant des mois avant de finalement l'emporter. J'avais six ans. Mon père a mis du temps à s'en remettre. Non je mens. Je crois qu'il ne s'en est jamais remis. Il n'était pas du genre vraiment bavard à la base mais ça s'est empiré à la mort de ma mère. Il ne m'a plus vraiment parlé. Il s'est renfermé en lui même, ne sortant que pour aller travailler.
Moi... j'ai continué ma petite vie de gamin banale. J'ai brisé des coeurs dés mon enfance. J'ai continué quand je suis arrivé au collège. J'étais bon garçon et bon parleur, capitaine de l'équipe de foot. Je n'étais pas particulièrement assidu en cours mais peu importait. J'avais d'assez bonnes notes et mes talents de joueur de foot m'avaient obtenu une bourse pour aller à l'université. Malgré tout ça avait l'air de rouler plutôt bien pour moi, des tas d'amis, des tas de filles, un avenir prometteur... Enfin... ça avait juste l'air...
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Je n'ai pas craqué... pas encore. Je suis allé me chercher un paquet de chips à la place et maintenant je traine avec devant la télé, zappant sur les programmes débiles qui passent la nuit. Je vais encore être en bon état pour travailler demain je sens. Et encore si ça pouvait m'aider. Mais non. Les conneries qui passent à la télé n'arrivent pas à chasser mes démons. Et la bouteille est toujours là à me narguer.
Ce n'est pas en regardant une émission sur les particularités des différents appâts pour pêcher le thon sauvage que je vais réussir à retrouver le sommeil. Et encore moins en... merde encore moins en regardant un porno. Je ne vois pas en quoi me branler devant ça m'aidera. Et puis... merde mais c'est quoi ce truc au juste. Et comment est-ce qu'ils arrivent à...
J'éteins précipitamment la télé. En fait je ne veux pas savoir comment ils arrivaient à faire une telle position. Et encore moins si ça fait mal. Bon vu la tête de la fille ça ne devrait pas être le cas. Bref... maintenant j'ai une image mentale dégueulasse qui est venu se rajouter à mon cauchemar. Si au moins elle avait pu le chasser complètement cela m'aurait arrangé.
Je vais peut être aller courir en fait.
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J'avais l'air d'être heureux mais c'était loin d'être le cas. Je me sentais mal dans ma vie. J'étais en colère. Contre ma mère d'être partie trop tôt et de m'avoir laissé. Contre mon père de s'être effondré alors qu'elle n'était plus là et de m'avoir laissé. J'étais seul. J'avais beau être entouré de pseudos amis et de filles, je ne m'étais jamais senti aussi seul.
J'ai commencé à enchainer les conneries. Je ne suis pas allé en fac. J'ai fréquenté toujours plus de filles. Pas plus d'un soir. Parfois guère plus de quelques minutes dans les toilettes d'une boîte de nuit. Je me suis fait ce tatouage stupide, juste pour voir la lueur de convoitise s'allumer dans le regard des femmes quand je faisais négligemment remonter mon tee shirt sur mon ventre, pour le plaisir de sentir leur langue retracer le contour du tatouage et descendre plus bas... toujours plus bas...
Puis j'ai fait la plus grande connerie de ma vie. Je me suis inscris dans l'armée.
Au début ce n'était pas une connerie, pas à mes yeux. Je me suis enfin senti chez moi dans ma compagnie. On était comme une famille. On se serrait les coudes. On savait qu'il y avait toujours quelqu'un pour couvrir nos arrières, de même qu'on était toujours là pour les potes. On a fait nos classes ensemble puis on est parti à la guerre. En Afghanistan.
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Mes jambes bougent en rythme, mon corps se couvre à nouveau de sueur mais cette fois c'est dû à l'effort et non plus à cette peur panique qui me saisissait en pleine nuit. Mes poumons commencent à me brûler, mes muscles hurlent de protestation mais je continue. Je sens enfin les souvenirs reculer. Ce sont toujours les mêmes souvenirs de guerre. Toujours le même champ de bataille. Je revois encore et encore mes camarades tomber. Puis finalement une autre explosion plus forte que les autres...
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Cela n'avait rien à voir avec ce qu'on nous avait promis. Il n'y avait rien de glorieux là dedans. Pas d'honneur au fait de défendre notre pays. Il n'y avait que le sang, la mort, les cris de douleur des copains tomber sous les balles.
J'en ai vu beaucoup, beaucoup trop tomber au combat. Jusqu'à ce que ce soit mon tour. C'était con. On est tombé dans une embuscade qu'on nous avait tendu. Le camion devant le mien a explosé. Les coups de feu ont commencé à retentir de tous les côtés. Je suis descendu et j'ai saisi mon fusil. Je me suis mis à tirer à mon tour. On oublie tout dans ces moments là. On oublie d'avoir peur. On oublie la répugnance que l'on pourrait éprouver à tirer sur quelqu'un d'autre. On se contente d'avancer et de tirer sur l'ennemi pour sauver sa propre vie. Jusqu'à ce qu'on prenne à notre tour une balle, que cet état disparaisse et qu'il soit remplacer par la douleur. La douleur et la peur de mourir. La peur qui revient et qui nous prend aux tripes avant de disparaitre pour de bon. Tout disparait à ce moment là. Il ne reste plus que les ténèbres qui nous engloutissent tout entier.
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Je rentre finalement de mon jogging. Je m'avance vers ma douche, l'esprit plus clair que depuis mon réveil. Je me déshabille, laissant tomber mes vêtements sur mon passage. Un tee shirt, une paire de tennis, des chaussettes, un pantalon, un boxer et puis enfin... une prothèse. Je pars en claudiquant sous la douche. La petite taille de la caravane m'empêche de devoir aller chercher mes béquilles. Il me suffit de me tenir à ce qui m'entoure pour rejoindre ma douche sans trop de mal, sautillant sur le seul pied qu'il me reste.
Je pousse un soupir de soulagement en sentant le jet d'eau chaude toucher ma peau. Mes muscles apprécient la caresse de l'eau, les aidant à se détendre après le traitement que je leur ai fait subir. Cela vaut mieux pourtant que de boire. Ce n'est qu'un petit prix a payer pour la paix de mon esprit.
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Tout s'est passé très vite. Je n'ai même pas eu le temps de me rendre compte de ce qu'il se passait. Une balle m'a atteint en pleine poitrine. Je suis tombé. Je revois ma chute. J'étais impuissant, foetus de paille balloté au grès du vent. Je suis tombé... longtemps... je ne sentais pas la douleur, pas encore. J'ai terminé ma course sur une mine. J'ai senti l'explosion. J'ai eu mal l'espace d'un fuguasse instant avant le trou noir.
Je me suis réveillé quelques jours plus tard dans un hôpital de campagne. Encore aujourd'hui je ne sais pas si je suis heureux de m'être réveillé. Trop de mauvaises nouvelles m'attendaient à mon réveil.
La balle que j'avais reçu dans la poitrine avait perforé la base de mon poumon droit. J'aurais pu y passer. Ils avaient réussi à me sauver. Je ne gardais que peu de séquelles de cette balle. Une cicatrice en forme d'étoile sous le téton droit. Pas grand chose de plus.
La mine avait été plus cruelle avec moi. Ma jambe gauche s'est posée dessus et une grande partie de ce qu'elle était a été emportée par l'explosion. Ils ont fait ce qu'ils ont pu mais ils ont du m'amputer, un peu au dessous du genoux. C'était la seconde mauvaise nouvelle.
La troisième a été plus difficile. Mon père était mort à son tour. Un chauffard un soir sur la route en rentrant du travail. Il n'avait pas été aussi sympa avec lui que la mine ne l'avait été avec moi. Enfin, ça c'est le point de vu de la plupart des gens.
J'ai donc été rapatrié dans un hôpital pour blessés de guerre. J'ai alors commencé une longue rééducation. Il fallait que je ré-apprenne à marcher, que j'apprenne à me servir de cette magnifique prothèse qui à force de lutter m'a finalement permis de marcher à nouveau et même de courir. Guère plus par contre mais c'était déjà ça. J'étais en vie. J'étais à peu près entier mais je me sentais en miettes que cela soit à l'extérieur ou à l'intérieur.
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Je me glisse finalement hors de ma douche. Je me sèche rapidement et enfile un pantalon de pyjama avant de filer me coucher à nouveau. Je sais qu'il vous reste des questions, la plus importante, comment je me suis retrouvé dans un cirque?
J'ai passé des mois difficiles sorti de l'hôpital. Mes cauchemars me torturaient toutes les nuits. Loin de la surveillance des infirmiers, médecins et kinés, je pouvais désormais boire tant que je voulais pour noyer mes souvenirs.
J'aurai voulu vous dire qu'il m'est arrivé quelque chose de fantastique pour me faire sortir de cet état. Que j'ai fait une rencontre digne des plus beaux films à l'eau de rose. Il n'y a rien eu de tout ça. Juste un mec d'à peine vingt ans qui s'est réveillé un matin et qui s'est rendu qu'il était en train de cramer sa vie, qu'il survivait tant bien que mal avec sa pension de blessé de guerre et qui la dépensait dans l'alcool vivant dans un taudis. Je me suis alors promis d'arrêter tout ça. J'ai arrêté de boire et j'ai repris mes études. Il n'était pas trop tard après tout.
J'ai voulu faire médecin mais la nature humaine m'a trop rebuté pour que je continue dans cette voie. J'ai déménagé souvent. Je ne supportais plus le regard que les gens portaient sur moi, ce mélange de pitié, de compassion et de dégoût. Je ne voulais plus les voir. Et je ne voulais pas avoir le même. J'ai re-déménagé et j'ai décidé de me cacher, de cacher mon handicap. Je me suis éloigné de tout le monde et j'ai été prendre soin de ceux qui avaient le plus besoin de moi, ceux qui ne me jugeraient jamais. Je me suis donc retrouvé vétérinaire.
Puis un jour... j'ai eu mon diplôme. J'ai cherché où je pourrais bien exercer. Et il y a eu une annonce pour travailler dans un cirque. Le job rêvé, pas de contact avec des bourgeoises pleines de fric venu faire faire ses vaccins à leur chihuahua hargneux, en profitant pour me faire du gringue au passage. J'ai foncé...
The dog days are over