Le paquebot était gigantesque et la curiosité - maladive - de Claribel avait été gâtée. Elle avait passé toute la première semaine du voyage à se balader dans le navire et à en fouiller les moindres recoins. C'était la première fois qu'elle naviguait - et après avoir passé l’appréhension du mal de mer -, elle se rendit compte que c'était encore mieux que ce qu'elle pouvait imaginer. Elle en profitait pour faire des grasses matinées jusqu'à 13h et pour prendre ses premières photos depuis l'océan. Les semaines suivantes furent de plus en plus longues. Après avoir perdue au casino la moitié de sa "fortune", l'ennui s'installa encore une fois.
Un nouveau dossier "croisière" traînait sur le bureau de son ordi. Comme d'habitude, elle s'était lâchée sur les photos et avait dû vider deux fois sa carte SD qui avait finit par saturée. Ça la ravissait de pouvoir profiter d'un paysage nouveau, de sublimes horizons bleutés, dorés, magiques. Les eaux troubles l'envoûtaient aux travers de son viseur, comme une danse de feu : aussi effrayantes que captivantes.

Calmée par le bruit des vagues s'éclatant sur la coque, elle profitait du vent frais marin en vidant tranquillement son paquet de clope, les fumant les unes après les autres. Le ciel était suffisamment découvert pour laisser voir les étoiles. I.C. tendrement entre ses doigts, elle immortalisait le ciel sombre pour la millionième fois. Les étoiles lui rappelaient les lumières colorés du cirque. Elles lui manquaient, les shows, les tentes, les manèges, les spectateurs inattentifs à leur portefeuille. Les longs voyages entre les destinations était l'une des très rares facettes du monde du cirque qu'elle n'appréciait pas. C'était déjà le cas lors du premier voyage de New York à Reykjavík, mais excitation de son nouveau travail et d'un voyage gratuit, avait aidé à faire passer le temps.

Elle prit son portable pour regarder l'heure. 00:30. Elle s'était réveillée à 15h, les yeux dans le pâté, gênée par la lumière qui filtrait sous la porte de sa cabine. La jeune brune était encore en pleine forme aux heures où les autres ronflaient gracieusement dans leur lit. Elle était bien partit pour faire une autre nuit blanche. Elle écrasa son mégot sur sa semelle de chaussure et le jeta dans un vieux paquet vide débordant, avant d'en rallumer une autre pour brûler l'ennui. D'après ses comptes, sa dernière -cuite - fête datait d'un peu plus d'un mois.
Sa cigarette entre ses lèvres, la brune se leva toujours enroulée dans sa couverture. Le froid lui tapait sur les nerfs et elle n'avait aucune envie de rester enfermée dans sa cabine. Elle descendit au pub sous les regards quelques peu surpris de voir une crinière brune dépasser d'une grosse couette traînant des pieds et sentant le tabac à deux mètres. Elle éteignit son mégot qui rejoignit les précédents dans le vieux paquet qui occupait sa poche de veste.
Le pub était plus animé que ce qu'elle pensait. Malgré l'heure, plusieurs tables étaient joyeusement entourée. Elle aperçu un geste de la main venant de la table du fond. Elle n'était pas la seule éveillée parmi les forains, deux vendeurs de tickets, quelques artistes, des cuistots, un peu de toute les facettes de la famille circassienne. L'un des nouveaux cuisiniers l'avaient vu arriver et l'invitait à leur table. Une petite réunion festive accompagnée de quelques bouteilles plus ou moins vide sur la table. Elle salua tout le monde, un grand sourire aux lèvres. Elle retira sa couverture et la roula en boule pour la poser sous une chaise vide qu'un forain rajoutait autour de la table. Elle s'installa tranquillement et s'incrusta dans la conversation avec son verre de rhum fraîchement servit au bar.

Les verres s'enchaînaient comme les sujets de discussion. 1:48. La luminosité de son portable l'éblouissait presque. L'alcool faisait effet, l'ambiance montait au fur et à mesure que le reste du pub se vidait. Il ne restait que deux ou trois inconnus sur une table plus loin et le barman. L'une des foraines - apparemment membres de l'orchestre - avait sortis une petite enceinte - avec l'autorisation du barman - où les différents styles de musiques défilaient. La musicienne dansait sous les encouragements du jeune cuistot et de la petite brune. On avait plutôt l'impression qu'elle essayait de tenir debout plutôt qu'elle ne dansait, mais sous l'effet de l'alcool s'était comique à voir.
La photographe la rejoignit, une bouteille de rhum moitié pleine, pour faire un headbang sur un morceau de métal. Sa crinière brune avait l'air possédée par le diable en personne. Un métalleux de l'autre bout de la table se rallia aux deux femmes, sous les yeux amusé du barman. Le spectacle se termina avec la musique et Claribel tomba sur les genoux, la tête sans dessus dessous, prête à vomir. Elle leva sa bouteille en riant, fière de ne pas avoir vider son estomac sur le parquet. L'ivresse lui donna un fou rire incontrôlable, accompagné de la musicienne qui était dans le même état en train d'essayer de la relever. Elle avait réussi à noyer son ennui dans les bouteilles payés par les autres. Le bonheur est encore meilleur gratuit.