Vladislav Oridor

   
   

   
   
   
   

  

Histoire

  
Vladislas ne se souvient plus vraiment comment tout cela a commencé. C'était toujours la même chose, à la maison. Kaliningrad, c'est un petit peu le bâtard oublié de la Russie et lui était le bâtard d'un marin et de... Rien en fait. Sa mère n'avait rien fait d'autre que de tomber enceinte. Et c'était toujours la même chose, la même routine étouffante qui le rendait fous au fil des jours. Il ne garde de sa mère qu'un souvenir doux, et lumineux, qui sent la fleur, un peu comme les publicités de lessive. Une mère souriante, qui s'occupait de lui, pas très belle, mais très aimante. Son père lui, s'absentait au fil des traversées, partait longtemps pour revenir quelques semaines. La mer dans le cœur, il buvait à outrance lorsqu'il était sur terre, comme si quelque chose lui manquait, comme s'il n'était pas dans son élément. C'est peut-être de là que Vladislav tient son malaise permanent, en ayant pris, pour une fois, exemple sur son père. L'alcool rendait le patriarche violent, surtout envers son garçon, fragile, blond, qui se renfermait un peu plus sur lui-même à chaque nouvelle rouée de coups.

Son enfance reste plutôt banal. Les gens le rendent mal à l'aise et chaque heure passée à l'école l'éloigne du cocon béni que lui a construit sa mère. Chaque pas de son père dans la maison le terrifie et le fait trembler. Très tôt, la vision du monde de Vladislav est altérée : les femmes doivent être belles et les hommes forts, le reste est asexué à ses yeux. Lui, il reste silencieux, mal avec son corps qu'il ne comprend pas et il observe avec ses grands yeux bleus. Il aime ça, regarder, imaginer et développe une grande passion pour la danse, gardant un souvenir heureux des après-midi glaciales qu'il passait devant la vitrine de la boutique de téléviseurs. Il n'y avait qu'une seule cassette qui repassait en boucle, celles des plus grands ballets russes, où des petites figures blanchâtres et grésillantes sautillaient avec force sur les petits écrans qui remplissaient timidement la vitrine. La scène lui apparaît comme un monde sacrée, féerique où tous doivent être gracieux, en rythme, comme une grande harmonie où chacun est content de rester à sa place. Chaque fois qu'une musique de Stravinski passe sur le transistor, le petit Vladislav se sent obligé d'imiter les danseurs de la télévision, sous le regard attendri de sa mère et la colère de son père. Vladislav n'attendait pas du vulgaire pêcheur qui lui servait de père ne serait-ce qu'une once de compréhension envers tant de délicatesse et de beauté.  

Sa mère meurt lorsque Vladislav à 14 ans, et avec elle, il meurt un peu. Elle est écrasée par une voiture et meurt sur le coup, alors que son père est en mer. Il réfléchit pendant des jours et des nuits à ce qu'il pourrait lui dire, s'il devait envoyer quelque chose, pleurer, se jeter à ses pieds... Lorsqu'il revint, le père tabasse le fils, presque à mort. Mais c'était différent des autres fois, c'était fait avec une certaine forme de tristesse, Vladislav pouvait sentir les larmes de son père à travers ses poings. Alors lui aussi a explosé et à laisser pleuvoir ses poings sur son père. Il avait déjà eu des accès de violences, qui pouvaient contrecarrer à ses habitudes de garçon timide, mais c'était la première fois que Vladislav perdait le contrôle totale de lui-même. C'est la police qui a finit par les séparer, alertée par les voisins. Vladislav est condamné à des séances chez un psychologue incompétent qui ne le comprend pas et à un placement dans une famille des environs, qui sera très bref.

C'est grâce à un échange scolaire que Vladislav découvre Londres. Ses camarades repartent sans lui, sans vraiment s'en rendre compte. Il essaye de vivre décemment avec le peu d'argent qu'il a hérité de sa mère. Il y passe un an à se perdre, n'arrive pas à suivre les cours de littérature en anglais et ne tient pas ses petits boulots. Lui et sa rigueur russe y excède, mais il finit toujours par devenir violent avec ses collègues qu'il trouve incompétents. Il a la folle idée d'essayer d'entrer au Royal Ballet mais échoue lamentablement, ce qui le pousse à faire passer chaque centime qu'il gagne dans des cours de danses classique. Malgré un certain talent, personne ne l'y remarque. Londres le change.  La liberté y est omniprésente, les filles en jupes n'ont pas peur des hommes ni de leurs regards. La nuit l'attire et, au détour d'une rue, tout change avec une rencontre. Duncan. Mais elle préfère se faire appeler Donncha. Il l’entraîne dans les nuits londoniennes, celles cachées dans les rues peu éclairées. Il y avait notamment cette petite salle où la limite entre homme et femme s'estompe et, où le temps d'un spectacle, il l'a ressent enfin. La joie de vivre. Il n'y gagne presque rien, si ce n'est des bons moments. C'est aussi là qu'un des autres travestis lui parle de son école, pour devenir météorologue, un métier, qui, sans vraiment qu'il sache pourquoi, l'attirait.  

Vladislav ne trouvait pas de réconfort dans les maths, mais il trouvait les masses d'airs rassurantes. L'école, au début, avait été un vrai calvaire, mais, après avoir découverts tous les secrets du temps, le russe passait des heures derrière son ordinateur à observer les déplacements des nuages. C'en était devenu une passion, si bien que, dès sa sortie, il fut embauché par la BBC. Il était comme le roi derrière la reine, la parole derrière l'apparence de madame météo. Il gagnait assez pour vivre, sans pour autant devenir riche, et bien vite retrouva une petite routine qui le nécrosait tout en le gardant précieusement en vie. Il se raccrochait toujours au temps qu'il allait faire, comme pour consolider sa santé mentale si fragile. Donncha ne voulait jamais passer une nuit sans lui, si bien qu'elle en devenait parfois violente. Sa possessivité rendait parfois malade Vladislav, qui rêvait doucement de lui fendre le crâne. Elle lui disait qu'elle l'aimait, elle essayait toujours de le toucher, lui soutirer un baiser. Et Vladislav restait inatteignable pour elle. Il ne comprenait pas l'obsession de Donncha de vouloir changer de sexe, mais Vladislav n'avait jamais rien compris aux histoires de sexe, ou d'amour. Il avait avait arrêté de monter sur scène à 21 ans, sans que cela ne lui manque réellement, c'était là quelque petites doses d'adrénalines par ci par là qui avait cessées de faire effet. Il se contentait d'être là, derrière son écran, seul avec ses courbes et ses prévisions. Cela ne l'embêtait pas de devoir porter un pantalon et des chaussures plates pour venir travailler, cela ne l'embêtait qu'on l'appelle par son prénom. Vladislav. C'était tant de nuances qui le différenciait de Donncha et qu'il ne comprenait pas.

Et puis, un jour encore, tout changea. Vladislav avait été au cirque, ce n'était pas le même genre de cirque que ceux de son enfance. Le Noah's Ark Circus avait quelque chose de magique pour lui. Un nouveau vent de liberté. Londres lui apparaissait maintenant étouffant, il ne pouvait plus respirer l'air gris de la capitale. La petite pancarte « recherche artiste » lui fit son petit effet. Timidement, il demanda à présenter un numéro, et, avec assurance, il exécuta, sans costume ni chaussons, mais en petite culotte blanche, la Valse des fleurs de Casse Noisette, la même qui lui avait valu de se faire recaler à l'Opéra de Londres. Celle là même qui lui claqua la porte du Big Show. Mais on lui trouva un certains charme, qui lui permit de danser la nuit, devant un public discret. C'était une scène différente que celle des drags queens. Plus intimiste, moins d'alcool, moins de rire. Vladislav avait l'impression, avec ce public silencieux et attentif qui le dévorait des yeux, d'être comme une étoile du classique. Il vit cette vie là sans réellement se projeter, jusqu'au jour où, au détour d'une rue, il trouvera autre chose et fuira encore pour faire de sa vie quelque chose de nouveau.