Celyna Dean

 
 

 
 
 
 

 

Histoire

 
Il y a des gens pour qui la vie est simple. Des gens qui se lèvent, qui prennent leur petit déjeuner, qui vont bosser et qui retrouvent leur petite famille à la fin de la journée pour un petit moment devant la télévision à buller tranquillement. Et il y a des gens qui ont une vie de merde. Des gens qui se retrouvent bizuter, comme ça, parce qu'ils ne sont pas comme tout le monde. Celyna, elle, a fait longtemps partie de la deuxième catégorie, en s'étant retrouvant quelques années dans la première, par un heureux hasard. On ne va pas se mentir, si elle pouvait changer de passé, elle le ferait.

La différence, depuis toujours, c'est un truc qui effraie autant que ça fascine. Il n'y avait qu'à voir les Freak Show de l'époque... Depuis toujours, et quoi qu'on en dise, toujours maintenant, ce qui n'est pas dans la norme dérange. Alors Celyna avait toujours dérangé. Comme si son corps trop grand prenait trop de place, même quand elle essayait de se faire toute petite, de ne pas déranger, de se rendre invisible. Pourtant, il ne faut pas se leurrer, ce n'est pas vraiment dans une famille sentant bon la normalité que l'anglaise a vu le jour. Non, la sienne de famille, c'était plutôt le genre violente et destructrice, qui ne savait pas communiquer autrement que par des cris. « Va te faire foutre » remplaçait souvent « Passe-moi le sel » à table, et Celyna avait dû grandir avec ça. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle n'avait jamais aimé sa famille. Et sa famille le lui avait toujours bien rendu. Celyna, c'était un peu le vilain petit canard de la famille. Celle qui ne criait jamais, qui ne s'énervait jamais devant les autres. Même quand ses frères plus âgés s'amusaient à la frapper, et à la bizuter. « Ça lui fera les pieds ! » disait son père, dans un éclat de rire. « Oh allez, Cely, ils jouent, tes frères ! » disaient sa mère. Et depuis quand la méchanceté gratuite était un jeu ? En fait, eux tous, ça les faisaient rire de voir la si grande Celyna être aussi une si grande victime. Trois grands frères ; pas un pour la défendre. Et elle-même avec un caractère bien trop effacé pour réussir à se défendre.

Il y a eut juste un jour, où les choses lui ont échappées. Un jour, où elle a perdu son sang froid, et où elle n'a pas réussi à se contrôler. Elle devait avoir sept ans. Et déjà une taille imposante pour son âge. Elle dépassait son frère de neuf ans facilement, et faisait presque la taille de son frère de 14 ans. Et, justement, son frère de 14 ans s'amusait encore à la frapper. Des « petites gifles, c'est pas grave Cely, j'te fais pas mal » que la gamine commençait de plus en plus à avoir du mal à encaisser. C'était vrai, ça ne faisait pas mal. C'était simplement humiliant. Elle se sentait comme un petit déchet, et appeler son père en commençant à pleurer n'y changeait rien. Son père était occupé à regarder sa télévision en lui disant de se débrouiller avec son frère. « T'es une grande perche, tu d'vrais pouvoir te défendre toute seule. ». Elle ne s'était jamais sentie autant en colère que ce jour là, et elle avait attrapé le bras de son frère. Elle voulait juste lui faire peur, lui tordre le bras pour qu'il arrête... mais au lieu de ça, elle le lui avait cassé. Net. Il avait hurlé tellement fort que même leur père était venu voir ce qui se passait. Et Celyna était restée plantée devant la scène, les larmes encore humides sur son visage, à ne pas savoir quoi faire. « T'as vu c'que t'as fait ! Putain d'erreur de la nature ! T'as vu c'que t'as fait ! » lui avait hurlé son père au visage. Et eux, hein, ils avaient vu ce qu'ils lui avaient fait ? Dès ce moment très précis de son existence, la vie de Celyna devint encore plus compliquée.

Elle était devenue le monstre de la famille. Elle préférait encore n'être que le petit vilain petit canard. Trop grande, trop forte. Trop. Toute son enfance, elle entendit les mots « Monstre », « Erreur », « Honte » pour la qualifier. Elle commençait à y croire... mais à l'école, on la détrompait. Quand elle arrivait à faire des choses que la plupart des gamins n'arrivaient pas à faire, on la regardait avec de grands yeux émerveillés. La fascination, d'un côté. Le dégoût, de l'autre. Elle devait se construire avec ces deux facteurs. Mais au fond, elle était juste intensément seule. Elle n'avait pas vraiment d'amis. Les gens se contentaient de vouloir trainer avec elle, parce que c'était cool d'avoir une amie « hors-norme » et sa famille la haïssait tellement qu'elle finissait par passer tout son temps enfermée dans sa chambre à attendre que les cris derrière sa porte et les coups sur celles-ci se calment et qu'on la laisse tranquille. Et puis, un jour, il y eut Naomi. Celyna devait avoir 16 ans, et mesurait déjà plus d'un mètre quatre-vingt dix. Autant dire qu'elle était imposante. Elle avait commencé la musculation, parce que soulever des haltères la détendait et que la salle de sport était devenu son refuge. Le seul endroit où elle se fichait bien du regard qu'on posait sur elle, parce qu'elle faisait quelque chose qu'elle aimait. Naomi avait 20 ans. Et elle était magnifique. Métisse aux longs cheveux frisés, avec un sourire ravageur, Celyna avait manqué arracher le rameur de son socle en la voyant passer. Et ça n'avait pas échappé à Naomi, qui s'était contenté de rire un peu – pas méchamment, et ça avait marqué Celyna – avant d'aller s'installer à son propre appareil.

Naomi n'avait jamais traité différemment Celyna. Jamais. Comme si elle n'avait même pas conscience de la taille de la demoiselle. Elle était juste venue lui parler, un jour, à la fin d'un entraînement et elle lui avait proposé un verre que la blonde avait accepté en balbutiant comme jamais elle n'avait balbutié de sa vie. A cette époque, Celyna n'avait pas encore tout à fait conscience de son homosexualité. Elle ne s'était jamais posé la question, et personne ne l'avait jamais vraiment intéressée ; ni hommes, ni femmes. Mais Naomi... Encore aujourd'hui, il lui arrive d'avouer avec un sourire nostalgique qu'elle était tombée amoureuse de Naomi à la seconde où elle l'avait vu entrer dans la salle. Et comme il arrive à tout le monde d'avoir un peu de chance dans la vie, les sentiments de Celyna furent partagés sans que Celyna elle-même ne comprenne comment une telle chose était possible. Comment une femme aussi belle, aussi drôle et aussi intéressante que Naomi pouvait l'aimer, elle. Six mois après le début de leur relation, Celyna quitta le domicile familial pour s'installer avec celle qu'elle considérait déjà comme la femme de sa vie. Et loin de déplaire à ses parents, cette idée les avait rendus littéralement euphoriques. « Ooooh ouais, casse-toi. On veut pas de géante lesbienne sous notre toit, on est des gens respectables, nous ! » Détestables aurait été un terme plus approprié, mais Celyna n'avait fait aucun commentaire là-dessus.

Cinq ans, c'est le temps que dura son bonheur avec Naomi. Elle était devenue infirmière, pendant que Celyna avait réussi à trouver un petit boulot dans la salle de musculation où elle avait rencontré Naomi. Elle n'avait pas de diplôme particulier, juste suffisamment d'expérience et de force pour pouvoir aider et guider ceux qui venaient se faire les muscles. « Celyna Dean ? Veuillez nous suivre, s'il vous plaît. » Elle avait été interloquée lorsque des policiers étaient venu l'arrêter au travail. Elle n'avait rien fait. Elle le savait. Mais eux étaient visiblement persuadés du contraire. « Vous êtes bien la compagne de Naomi Maccow ? » Elle avait acquiescé, naturellement. Et on lui avait tout dit. Que Naomi s'était fait sauvagement agressée, et qu'elle était décédée des suites de ses blessures dans l'hôpital même où elle travaillait. Que l'agresseur avait été très violent... et qu'elle était naturellement le principal suspect, de par la nature de sa relation avec Naomi et de par le fait qu'il était connu de tous qu'elle avait une force hors norme. Le lien entre force et violence était trop évident à faire pour qu'elle ne soit pas accusée... Celyna s'était effondrée. Jamais elle n'avait eu aussi mal à l'intérieur d'elle-même que le jour où elle apprit dans une salle d'interrogatoire la mort de sa petite-amie. La mort de la femme de sa vie. Bien sûr qu'elle était innocente, et la police le comprit à sa réaction, même si une enquête fut ouverte et qu'elle resta suspecte jusqu'à ce que les faits prouvent son innocence. Quoi qu'elle en dise, Celyna ne se remit jamais de la mort de sa compagne. Et elle garde au fond d'elle cette petite rancune envers la police qui a osé croire une seule seconde qu'elle avait pu lui faire le moindre mal. Elle prit ses économies, et elle quitta Londres sans chercher à savoir où elle irait vivre, ni comment elle réussirait à vivre. Elle voulait juste quitter cette ville. Quitter les souvenirs que cette ville lui rappelaient.

Elle passa de petits boulots à petits boulots, difficilement, pendant un an, avant de tomber sur le Noah Ark Circus où elle fut remarquée d'abord pour sa taille hors norme, puis pour sa force dite surhumaine. Et elle fit ses débuts là-bas, en tant que novice, puis en tant que Freak où elle devait briser de faux crânes humains à la seule force de ses mains pour distraire un public venu là pour frissonner... Mais elle avait plus d'ambition que de rester un monstre toute sa vie, et elle travailla très dur pour devenir une étoile. Pour avoir la possibilité de faire autre chose de sa vie que d'effrayer les spectateurs en leur montrant ce qu'elle pourrait leur faire si elle le désirait. Elle monta un numéro plus impressionnant qu'effrayant, travailla chaque jour un peu plus jusqu'à être enfin reconnue. Et il y a deux ans, elle intégra la petite famille des étoiles du cirque, en tant que femme la plus forte du monde. C'est aujourd'hui sa plus grande fierté, et elle fait tout pour conserver sa place. Le cirque est devenu sa maison, la troupe est devenue sa famille... Elle se sent bien, ici. Et pour rien au monde elle ne voudrait quitter cet univers qui lui a permis de se reconstruire doucement, mais sûrement.