Adalrik Skjaldbjørn Osfridson

   
   

 

Histoire

 

 Le froid mordant d'une nuit d'hiver, probablement le jour le plus froid du monde. La neige épaisse recouvrait tout, même la mer donnait l'impression d'être figée dans la glace. A Honningsvåg, petite ville côtière d'environ deux milliers d'habitants à l'extrême nord de la Norvège, il y avait beaucoup de ces jours les plus froids du monde. Il faut dire qu'avec une température moyenne de 2 pauvres degrés Celsius, l'hiver perdurait sans cesse. Même les arbres avaient décidé de fuir cette île, eux avaient compris que le climat était épouvantable, pas comme les Bernsten qui décidaient de rester vivre dans ce trou du cul du monde de deux pauvres kilomètres carré. Le couple, semblaient fuir le monde extérieur, comme une crainte viscérale de la civilisation et des êtres humains. Toujours est-il que c'est durant cette nuit la plus froide du monde que naquit Alrik, à l'ombre d'un radiateur chauffant faiblement la pièce d'un minuscule hôpital. Les Bersten n'étaient pas bien riches, mais ils n'avaient pas besoin de grand luxe, ni de grande maison. Alrik fut le petit miracle de la famille, le fils unique et gâté au mieux.

Bien vite, le couple se rendit compte que le jeune enfant avait ce petit quelque chose de particulier qui le différenciait des autres. Son regard constamment en alerte, sa façon de sourire dans le vide à des êtres qui ne semblaient pas exister et ces quelques tâches qui se glissaient sur certaines photographies. Un petit héritage familial qui remontait à sa grand-mère maternelle qui comprit rapidement que son petit fils possédait lui aussi ce "don". En grandissant, le garçon se rapprocha de cette dernière de façon fusionnelle. Sa grand-mère fut sa confidente au grand damne de ses parents, celle qui lui appris de nombreuses choses et chez qui il passait plus de temps que dans sa propre demeure. Bien vite, il se prit d'aspirations, d'envies de voyages et de découvrir autre chose que cette minuscule ville dont on faisait le tour en quelque dizaines de minutes. D'ailleurs tout le monde à Honningsvåg se connaissait et Alrik n'avait pas la meilleure des réputations. "Ce gamin étrange" était les trois mots les plus employés lorsqu'on le désignait, encore une fois au grand damne de ses parents qui vivaient très mal cette "différence". Eux, voulaient en faire un bon petit pêcheur comme son père et son père avant lui. C'était ainsi depuis des générations, mais le garçon avait plus un goût prononcé pour les sciences occultes que pour l'industrie du poisson présente depuis des générations dans le sang de la famille. Le combat fut rude entre le jeune homme qui grandissait avec des espoirs de quitter l'île un jour et son père qui s'évertuait à lui faire reprendre le flambeau dès la sortie de sa scolarité. Encore une fois, son seule repère resta sa grand-mère qui s'évertuait d’apaiser les tensions.

Jusqu'au jour où le drame arriva. L'aïeule tomba malade, sa santé se dégradait de jour en jour et Alrik en fut profondément affecté. Il le sentait venir, il en rêvait chaque nuit, se relevant en sueur chaque matin. Elle avait fait son temps et elle était à présent appelée vers d'autres horizon, vers le "Walhalla" comme elle disait, ayant toujours été fascinée par la mythologie viking. A sa mort, il fallut des moins pour que le jeune homme s'en remette. Il mangeait peu, parlait peu et semblait s'enfermer dans une coquille imperméable. Les rapport avec ses parents se dégradèrent de plus en plus, les fuyant au possible. " Ils ne comprenaient rien " s'évertuait-il a penser, persuadé qu'ils le prenaient pour un illuminé eux aussi. Ce qui était en partie le cas. 

Puis un jour, par hasard en errant dans les rues de la bourgade, il tomba sur cette affiche qui allait changer sa vie. Un cirque. Il en avait entendu parler, mais n'en avait jamais vu. La seule chose du monde extérieur qui venait à Honningsvåg, c'était les touristes. A la seconde même, il alla s'acheter un ticket pour assister à la représentation. Ce qu'il y découvrit lui vendit instantanément du rêve. Il fut en admiration face au dompteur de fauves, aux trapézistes, aux danseurs mais aussi les cracheur de feu. Il avait dix-neuf ans, mais ressemblait d'avantage à un gosse qui apprenait que le Père Noël était réel. C'est alors qu'il se glissa dans cette tente immense aux aspects de maison hanté, un freak show, un vrai. Si le spectacle lui avait fait pétiller les yeux, ce n'était pas grand chose par rapport à ce cabinet de curiosités vivantes. Les bizarreries, ça a toujours été son truc et pour une fois, il se sentit presque normal, pas de chuchotements envers lui, rien.


L'étrange avait toujours fait partie du quotidien d'Alrik, bien que ses géniteurs le dissuadaient de continuer à toucher à ce genre de "foutaises". Chaque matin, il allait travailler avec son père, ayant perdu la guerre ou ne voulant plus vraiment continuer à se battre avec lui. Il traînait des pieds jusqu'au petit bateau de pêche, il détestait l'odeur du poisson, ça le rendait malade. Et puis, durant plusieurs semaines, il allait se réconforter dans cet endroit merveilleux qui le faisait tant rêver. Une routine qui permettait de lui rendre un tant soi peu le sourire, bien qu'elle serait éphémère. Alrik commençait à s'approcher de ces forains, à tenter d'en savoir plus lui aussi sur cet univers de voyage qui semblait merveilleux. Il se lia assez vite d'amitié avec quelques membres du personnel, sans pour autant parler de cette chose qui le rendait spécial lui aussi.

Au fil des jours, une idée d'abord aussi maigre qu'un grain de sable, s'introduisit dans son esprit. Or le grain de sable finit par se transformer en lune énorme occupant ses pensées de plus en plus. Il devait partir avec eux, ça le démangeait. Ce fut une énième dispute avec son géniteur un beau matin qui provoqua le déclic, ce petit quelque chose qui lui manquait pour prendre sa décision. Il ne mit pas longtemps à faire un sac, attrapant tout ce qui pouvait y entrer, alla retirer tout l'argent dont il disposait et s'en alla au beau milieu de la nuit pour se rendre face au directeur et lui demander un emploi. Il signa un contrat sous le nom d'Adalrik Osfridson, un nom viking en hommage à sa défunte et regrettée grand-mère.

Au début, il ne fut que simple palefrenier, un travail dur et peu gratifiant, qui payait peu, mais peu à peu il se fit sa place au fil des mois. Il découvrit des lieux qu'il ne pensait jamais voir un jour et dont le nom avait raisonné de façon lointaine. Il restait comme un gosse en perpétuelle admiration. Ce fut lors d'une soirée arrosée qu'il dévoila ses talents de médium, cherchant à impressionner une demoiselle alors qu'il était à moitié ivre. Jusque là, il n'avait jamais vraiment abordé le sujet, probablement par crainte d'être encore une fois jugé. Pourtant, cette capacité ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd puisque le matin même, on lui demanda d'en montrer plus. On lui proposa donc un bizutage pour faire partie de la grande famille des artistes. Encore aujourd'hui, il a du mal à se souvenir de ce qu'il a du faire, probablement quelque chose comme boire comme un trou jusqu'au bout de la nuit puisque c'était le very bad trip. Dans tous les cas, il ne valait peut-être mieux pas s'en souvenir.

Toujours est-il qu'il passa de palefrenier à jeune médium. Et là, ce fut le déblocage total puisqu'il se lâcha dans ses excentricités. Il se sentait comme en famille, un vrai poisson dans l'eau, si bien qu'à force de se lâcher, il se fit passer pour un véritable illuminé, mais qu'importe il s'en contrefichait. Il continua cette vie pendant presque onze ans, onze ans à parcourir le monde sous ce chapiteau, onze ans d'émerveillement comme un gosse. Il apprit plusieurs langues, se fit quelques rares amis de confiance tout en se méfiant à chaque fois des nouveaux arrivants. Avec un peu de chance, cette vie continuerait encore longtemps...