Lumen Jones

   
   

   
   
   
   

Histoire

Depuis toujours, c'est juste ma mère et moi, toutes les deux, à la découverte du monde. Mon père n'a jamais fait partie du tableau. Je pense même qu'à part le fait qu'il soit asiatique, obviously, ma mère, grande blonde aux yeux bleus, ne sait rien de lui. Je la soupçonne même d'avoir été surprise de donner naissance à une gamine aux yeux bridés ! Mais toutes ces conneries de « retrouver mes racines, savoir qui je suis vraiment » en retrouvant mon géniteur, ça m'a jamais vraiment branchée. Il n'a jamais su que j’existais, il ne se souvient probablement pas de ma mère et c'est peut être mieux comme ça. Je n'ai pas besoin de retrouver mes racines puisqu'on ne peut pas vraiment dire que j'ai des racines quelque part. Je suis née en Australie, certes, mais je n'y suis pas retournée depuis mes 5 ans, autant dire que mes souvenirs du pays des kangourous sont limités ... Ma mère est maquilleuse et allergique à la stabilité. Dés qu'elle m'a estimée en âge de supporter les voyages, elle s'est mise à suivre de grandes troupes de théâtre dans leurs tournées mondiales, ou à s'inscrire à des concours en Europe, à travailler quelques mois par-ci, par-là dans de petits salons au Japon, à Singapour ou en Inde. Nous avons rejoint le Noah's Ark Circus quand j'avais douze ans : il leur manquait une maquilleuse et elle ne pouvait rêver d'un travail plus adapté à ses constantes envies d'évasion.


Vivre dans un cirque ! Le rêve ! Du haut de mes douze ans, je jubilais : du spectacle, des animaux, des costumes en tous genres … j'étais au paradis ! Entourée de tous ces passionnés, je me suis lancée à la recherche de mon talent caché. J'ai essayé la contorsion, le jonglage et même brièvement le lancé de couteaux, mais il fallait se rendre à l'évidence : je n'étais ni souple, ni agile ni douée avec les lames. Mon talent caché est donc resté caché. Je n'ai pas pour autant développé de sentiment d'infériorité, ou pas trop : j'aidais les vendeurs de confiseries ou j'assistais ceux qui s'occupaient des tickets. Et puis, j'ai finis pas choper les palettes de ma mère  pour m’entraîner entre les spectacles. Je suis rapidement devenue son apprentie, avant d'obtenir mon propre poste il y a quatre ans. Le maquillage me canalise et je me sens utile, même quand telle ou telle danseuse périmée imbuvable estime que mon travail est à chier deux minutes avant d'entrer en scène.
J'ai assez vite découvert l'indépendance : je passais mes journées à déambuler entre les tentes et les caravanes. Si je découchais, ma mère n'étais pas plus inquiète que ça et pendant ma crise d'ado ça a été utile. Elle a paniqué une seule fois : j'avais 16 ans et pour la première fois, nous avions réussi à nous faufiler dans le Freak Show. C'était LE lieu interdit pour les gamins de la troupe, le lieu qui nous fascinait le plus. On savait tous plus ou moins ce qui s'y passait, mais on passait des heures à spéculer sur l'origine des cris, des rires, des bris de verres. Ma mère avait beau être une femme très ouverte d'esprit, cela ne l'a pas empêchée de m'assigner à résidence pendant des semaines après ça … Parce que bien sûr, on n'est pas passés inaperçus et l'histoire des gamins en quête d'aventure dans les recoins sombres du Freak Show a vite fait le tour de la troupe.

Ce soir je suis de repos, le Big Show n'a pas besoin de moi et j'ai déjà passé toutes mes nuits au Freak Show cette semaine. Je roule une clope avec mes restes de tabac, attrape une bière abandonnée dans une loge et me case près de l'entrée du chapiteau principal. Le spectacle va commencer. Je le connais par cœur, mais la musique me fait toujours de l'effet, même après douze ans.