Tahlia Lincoln

  
  

  
  
  
  

  

Histoire

  
  Je me laisse retomber une dernière fois au sol, étirant mon corps en un parfait grand écart. Je garde la pose un instant, cherchant à m'étirer au maximum, à la limite de ce que mon corps est en état de supporter. Puis finalement je relâche l'effort, laissant mes muscles se détendre après ce que je leur ai fait endurer. Je me relève et pars éteindre la radio qui hurle toujours sa musique dans un coin. J'attrape ma serviette pour éponger la sueur qui ruisselle sur mon visage et un peu partout sur mon corps d'ailleurs. La pièce est plongée dans le noir, seuls quelques éclairs viennent par moment illuminer l'endroit. C'est pour ça que j'ai mis fin à mon entrainement. J'avais davantage peur d’abimer le poste qu'autre chose. Il y avait bien longtemps que j'avais cessé d'écouter les protestations que pouvaient émettrent mon corps. Il n'y avait qu'en m'entrainant dur que j'étais certaine de rejoindre un jour le plus haut niveau. Et n'en déplaise à mes parents.


La petite fille était seule dans son jardin. Dans un coin se balançait tristement une balançoire. L'enfant n'y prêtait pas attention. Elle était trop occupée à danser seule au milieu de l'herbe, ses membres suivant le rythme d'une musique qu'elle était seule à entendre.

-Qu'est-ce que tu fais?

Elle se retourna, surprise par la voix qui venait de retentir tout près d'elle. De l'autre côté de la balustrade se trouvait un petit garçon d'environ son âge. Ses grands yeux semblaient fixer la petite fille, cherchant à comprendre ce qu'elle était entrain de faire.

- Je danse, ça ne se voit pas?

Elle lui tourna le dos et reprit son enchainement là où elle l'avait arrêté.

- Tu pourrais m'apprendre?

Elle s'arrêta à nouveau et lui lança un regard franchement agacé.

- Ce n'est pas pour les garçons.

Elle redressa le menton fièrement et se détourna une nouvelle fois ignorant le petit garçon.

- J'ai vu des garçons danser à la télé. Apprends moi...

Elle hésita un instant. Elle aussi, elle en avait vu des couples danser à la télé. Ils étaient si beaux. Les hommes faisaient voltiger les filles dans les airs, les portant comme si elles ne pesaient pas plus qu'une plume. Elle rêvait de leur ressembler, d'être comme elles des anges volant entre les bras de leur partenaire.

- D'accord... viens par là...


Au début ils n'ont rien vu venir. Ils étaient tellement fiers de leur petite danseuse étoile. Ma mère, espagnole d'origine, avait grandi au rythme du flamenco qu'elle m'avait enseigné dés mon plus jeune âge. Il aurait été impensable pour elle que je ne danse pas. Mon père, anglais de pur souche, n'était pas spécialement porté sur la danse. Il m'avait fait faire du piano, trouvant que ce noble instrument était parfait pour la petite fille bien élevée qu'il rêvait d'avoir. La vérité les a vite rattrapés.

Je ramasse mon sac, prend mes affaires et file dans ce qui me sert de maison. J'ai besoin d'une douche, d'un repas et d'un peu de divertissement, dans cet ordre là. Je ne serais bonne à rien tant que je n'aurais pas avalé quelque chose et personne n'osera s'approcher de moi tant que je serais pleine de sueur. Je laisse mes vêtements tomber un à un au sol et me glisse avec plaisir sous le jet brûlant de la douche. Je sens mes muscles se détendre un à un. Mes yeux se ferment tandis que ma tête se rejette en arrière de plaisir.


Les deux enfants avaient grandi mais ils étaient toujours là, dans ce même jardin. Ils s'étaient allongés dans l'herbe, leur tête toutes proches l'une de l'autre, leur regard fixer sur le ciel.

- Tahlia...

- Hmm...?

- Pourquoi tu danses?

- Demande moi plutôt pourquoi je respire...

Le silence revint s'installer entre eux. Un silence calme, apaisant, comme les nuages au dessus de leurs têtes.

- Tahlia...

- Oui?

- On restera toujours ensemble?

- Tu te rappelles ce que je t'ai dis pour la danse?

- Oui...

- Tant que je danserais je resterais avec toi...


Cela faisait déjà plusieurs années que j'avais quitté mon Angleterre natale pour rejoindre le cirque. C'était un rêve de gamine qui se concrétisait enfin. Mes parents auraient du s'en douter depuis le début. Dés la première fois, quand je leur avais assuré avec aplomb à l'âge de cinq ans que je ne me voyais pas mariée avec des enfants. Ils avaient ri devant la répartie de leur fille, ne voulant pas croire un seul instant que je puisse être sérieuse.

Puis je suis montée sur les planches et j'ai senti dés les premiers pas de danse, dés que les premières notes de musique s'étaient élevées, que c'était là ma place et que je ne la quitterais jamais. Ils étaient tellement fiers qu'ils ne se sont pas rendus compte un instant que ce que je vivais quand j'étais sur scène était plus qu'une simple passion. C'était ma vie que je vivais sur les planches et une comédie que je jouais quand j'en descendais.


Elle s'éleva dans les airs. Elle sentait que cette fois c'est la bonne. Elle pivota sur elle même, se tendit prête à se faire réceptionner... puis elle s'écroula lourdement sur le sol poussant un léger cri de douleur. Elle le sentit venir se précipiter sur elle, inquiet, tandis qu'elle se tenait la cheville en grimaçant.

- Oh mon Dieu Tahlia je suis désolé.

- Ce n'est rien laisse tomber.

La grimace de souffrance qui déforma ses traits à ce moment là détrompée fortement ses propos.

- Il faut qu'on t'amène à l'hôpital.

- Non!! Surtout pas!! Ils sauraient ce qu'on était entrain de faire et ils m'interdiraient de sortir, encore. Ce n'est rien ça va passer. Je vais mettre un peu de glace dessus et ce sera comme si rien ne s'était passé rassure toi.

Elle intercepta son regard inquiet et lui sourit pour le rassurer.

- Ca ira...


Ils auraient du continuer de se méfier quand j'ai commencé à sécher les cours à l'adolescence. L'école me saoulait, mes parents et leur vision étriquée de la vie me saoulait et je n'avais qu'une hâte c'était fuir ce monde qui m'étouffait pour aller vivre ma vie. Mais là encore ils ont préférés ne pas voir. Ils se sont dit que c'était l'adolescence, que c'était une passe et que je changerais vite. Ils se disaient qu'une fois arrivée à l'âge adulte, entrée à la fac, je retrouverais mes esprits et redeviendrait la petite fille sage qu'ils avaient toujours connu. Ils ne pouvaient pas plus se tromper. Je me suis calmée, j'ai arrêté de fumer et de tremper mes cheveux dans des pots de peinture. Mais l'envie de vivre sur scène ne m'a jamais quittée.

Ils ont tenté de m'envoyer à la fac une fois mon diplôme durement acquis. Ils voulaient me faire rentrer dans le droit chemin. Ils pensaient qu'en me séparant de mon meilleur ami, qu'en me retirant mon partenaire, ma moitié, je me calmerais. Ils ne pouvaient pas plus se tromper.

Je n'ai attendu que quelques jours, histoire d'être certaine qu'ils ne me surveillaient plus. J'ai réuni l'argent que j'avais mis de côté et je me suis enfui. Je l'ai retrouvé et ensemble on est partis. On a rejoint le cirque, notre vraie maison, notre famille.


- Tu es venu me chercher...?

Un sourire étira les lèvres de la jeune femme tandis que son regard plongeait dans le sien.

- Oui... suis moi... on s'en va...

Elle fronça légèrement les sourcils.

- Où va-t-on?

- Vivre...


Je sors finalement de la douche et enfile quelques vêtements. Il est temps que j'aille faire des folies maintenant.